"Marchands de sommeil" : Détecter les abus ! 

Dans quelle mesure est-il possible de déterminer qu’une situation est manifestement abusive en matière de logement et doit, par conséquent, être dénoncée ? Une série d’indices spécifiques peuvent alerter des acteurs de terrain, nous les reprenons ici.

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Les articles précédents abordaient la complexité des relations entre propriétaires abusant de la précarité des occupants de leurs immeubles et ces derniers, les dispositions prévues par le code pénal, les mesures qui permettent de neutraliser efficacement le marchandage de sommeil dans une ville ou commune, enfin des exemples de bonnes pratiques locales.

Nous détaillons à présent une liste d'indicateurs qui peuvent aider à cibler les situations susceptibles de faire l'objet d'une enquête. Cette liste n'est cependant pas exhaustive, car la présence ou l'absence d'un seul indicateur ne prouve ni n'exclut la présence de marchandage de sommeil et/ou de logement insalubre. Néanmoins, ces indicateurs doivent alerter l'intervenant pour relayer l'information à l'autorité compétente.  

  • Les victimes de marchands de sommeil sont souvent des personnes vulnérables, telles que des migrants, des personnes sans emploi, des personnes en situation de précarité ou des personnes ayant des problèmes de santé mentale. Les femmes et les enfants sont souvent les plus touchés par les conditions de vie inadéquates imposées par les marchands de sommeil.

     

  • L’omission d’un contrat de bail (obligatoire) est fréquente, ce qui entraîne une interdiction ou impossibilité de s’inscrire et par conséquent la détection d’un abus plus difficile. Lorsque le logement est assorti d'un contrat de bail, les clauses ne respectent pas la loi sur les baux à loyer. On peut y retrouver des mentions telles que : bail d’un an non renouvelable, une expulsion sur le champ en cas de retard ou non-paiement, etc. Le contrat en question est rarement enregistré et il peut même, dans certains cas, interdire au locataire de se domicilier à l'endroit concerné. À l'inverse, une boîte aux lettres peut être louée alors que la personne renseignée ne réside pas à l'endroit.

     

  • La présence de multiples boîtes aux lettres dont certaines indiquent des noms et adresses qui ne correspondent pas avec les personnes résidant effectivement à l’endroit concerné. Si les marchands de sommeil refusent parfois la domiciliation de leurs locataires, ceux-ci peuvent en revanche louer les boîtes aux lettres à d’autres personnes.

     

  • Le loyer est abordable mais largement excessif par rapport aux conditions de logement et comprend généralement les charges. La garantie locative est négociable. Les paiements peuvent être étalés dans le temps et sont payés, de manière privilégiée, en liquide. La promotion de ces hébergements se fait par le bouche-à-oreille, par des affiches de location apposées sur le bien ou via les réseaux sociaux et plus particulièrement Facebook/Marketplace.

     

  • Dans certains cas, les marchands de sommeil participent à la traite des êtres humains ayant pour but de fournir une main-d'œuvre bon marché pour des activités illégales, telles que la prostitution ou la mendicité forcée.

     

  • Les victimes de marchands de sommeil peuvent éprouver des difficultés à accéder aux services de base, tels que l'eau courante, l'électricité ou le chauffage. Les cuisines sont généralement collectives. Les moyens d’aération et d’éclairage naturels sont insuffisants.

     

  • Souvent, les logements proposés par les marchands de sommeil ne respectent pas les normes de sécurité en vigueur, avec les risques d'incendie, d'asphyxie ou d'électrocution qui en découlent. Les attestations de conformité sont manquantes, ne peuvent pas être spontanément fournies, sont anciennes ou ne correspondent plus à la réalité.

  • L’habitat peut être insalubre et/ou mal-entretenu avec la présence de nuisibles, de déchets mal gérés, la présence de champignons ou d’humidité. Les conditions d’hygiène sont déplorables. Les logements peuvent être très sales et peu entretenus, avec des moisissures, des infestations de nuisibles et des déchets accumulés.

     

  • Les modifications urbanistiques ne sont pas renseignées. Les logements proposés sont souvent surpeuplés, avec un grand nombre de personnes vivant dans des espaces réduits, ce qui engendre des conflits et autres problèmes de sécurité et de santé. Il arrive que la police soit appelée pour éviter ou mettre fin à des bagarres, d’où l’importance de sensibiliser les services de première ligne à rapporter les faits en tant qu’indicateurs potentiels d’un marchandage de sommeil.

     

  • Les victimes de marchands de sommeil hésitent souvent à se pourvoir en justice, par ignorance, en raison de leur statut de résident illégal ou par peur de représailles.

     

  • Certains occupants peuvent être surexploités et devoir travailler de longues heures pour des salaires très bas afin de payer leur logement.

     

  • Les victimes de marchands de sommeil peuvent éprouver des difficultés psychologiques en raison des conditions de vie inadéquates et des comportements abusifs des propriétaires tels que : des pressions et des menaces, des visites et des intrusions domiciliaires, des subtilisations de courrier, des déplacements surveillés, des risques d'expulsion et/ou de déménagement forcé, des obligations de partager le bien et/ou le logement avec d'autres personnes, des obligations d'accepter certaines activités illégales ou non (trafics et/ou activités en tous genres, …)

Rappelons que chaque situation est spécifique et nécessite une évaluation individuelle. Lorsque des soupçons de situations abusives existent, il faut en référer à l'autorité compétente en lui fournissant les informations utiles dont on dispose. 

En Belgique, les autorités concernées par le marchandage de sommeil peuvent être différentes selon la région et la ville ou commune impliquées. En général, il est possible de contacter les autorités locales comme la commune, le CPAS, la police ou l'inspection régionale du logement. Il existe également des associations et des organismes, tels que le SAMU social ou la Fédération des services sociaux. En cas d'infraction à la législation sur le logement, l'inspection sociale peut également être saisie. Enfin, les autorités judiciaires sont en mesure d’intervenir en cas d'infraction pénale. 

La série d’articles :
"Marchands de sommeil", une réalité complexe 
Le marchandage de sommeil est une infraction pénale
Comment neutraliser les "Marchands de sommeil"
Bonnes pratiques contre le marchandage de sommeil 
"Marchands de sommeil" : détecter les abus !


Kevin LIBIOUL
Coordinateur - Centre d’Information et d’Expertise d’Arrondissement
Police Fédérale - DCA Namur 

Lire aussi :
Capelle, Charles. La répression des pratiques des marchands de sommeil : une législation porteuse d'injustices et d'incohérences ? Evolution, analyse et évaluation du régime applicable. Faculté de droit et de criminologie, Université catholique de Louvain, 2015. Prom. : Cesoni, Maria Luisa, sur : https://dial.uclouvain.be/memoire/ucl/fr/object/thesis%3A3545

Insalubrité, en finir avec l'impunité des bailleurs, sur : http://rbdh-bbrow.be/IMG/pdf/RBDH_insalubrite_FR_2022_03_15_web.pdf

©ASBL Secunews https://www.secunews.be/fr/

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